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Comité départemental des Pyrénées Orientales et de l'Aude

Pâque la fête du passage

Pâque la fête du passage

Pâques : une fête plurielle

En Catalogne, comme dans toute la Méditerranée européenne, les fêtes de Pâques sont l’occasion de processions, de fêtes, de traditions culinaires et musicales, de reconstitutions publiques et de mystères médiévaux. Une ferveur populaire sans cesse renouvelée les accompagne, au point d’en avoir fait une attraction touristique majeure comme à Girona, Esparraguerra ou Reus. Pourtant aux côtés de ces réjouissances chrétiennes, dans le secret des familles et des synagogues, une autre pâque se joue, la pâque juive, Pessah.

Des traditions étroitement liées

Pour les Chrétiens, le vendredi Saint est le jour de la Cène, le dernier repas du Christ avec ses Apôtres, celui qui fonde la célébration de l’Eucharistie, puisque le Christ y bénit le pain et le vin, dont il fait le symbole de son sang et de sa chair. Or, plus personne ne le nie aujourd’hui, Jésus de Nazareth était juif. Ce repas du vendredi soir, eu égard à la proximité des dates (cette année, les deux fêtes, la juive et la chrétienne ont carrément lieu en même temps malgré l’adoption de deux calendriers différents), c’est celui du Seder, le repas de la Pâque juive. Et tout s’éclaire…

Pessah : fête de mémoire

Pessah symbolise tout simplement pour les Hébreux, sous la houlette de Moïse, la fuite hors d’Égypte où ils étaient réduits en esclavage. C’est à la suite de cet exode que Dieu a donné la Torah à Moïse sur le Mont Sinaï. À ce titre, Pessah symbolise aussi la naissance d’Israël. C’est dire son importance dans l’année liturgique juive.

Sous le signe de l’agneau

Pour convaincre Pharaon de libérer son peuple, Dieu décida d’envoyer à l’Égypte dix terribles plaies : il changea les eaux du Nil en sang pour assoiffer le peuple, il fit pleuvoir des grenouilles, pulluler les moustiques, essaimer des mouches et des taons, mourir les troupeaux, couvrit bêtes et gens d’ulcères, envoya les sauterelles dévorer les cultures, plongea le pays dans une totale obscurité. Souhaitant épargner à son peuple la dernière et dixième plaie, la mort des nouveau-nés, il intima aux Hébreux d’immoler un agneau par foyer et de peindre leurs portes et leurs chambranles avec son sang de façon à les rendre identifiables. Alors commença, après le massacre des nouveau-nés égyptiens, l’exode, qui vit la mer s’écarter devant le bâton de Moïse pour laisser passer les Hébreux : une errance dans le désert marquée par la survie dans des conditions difficiles avec pour seul guide la foi dans l’Éternel.

Des aliments symboliques

Le Seder se fête généralement en famille, avec le père comme officiant. Pendant une semaine les juifs ne mangent pas de pain levé, mais du pain azyme pour commémorer la vie dure que menèrent les hébreux en exil. Sur la table, en effet, trois pains azymes, un os d’agneau grillé, des herbes amères, un mélange de pommes et de noix, un œuf bouilli, un radis, un bol d’eau salée et 4 verres de vin rouge. La consommation de chacun de ces aliments est précédée de la lecture des écritures qui en expliquent le sens profond, mais aussi de questions posées aux plus jeunes pour qu’ils comprennent bien l’enjeu de la cérémonie. Les pains azymes ou matzot sont rompus à chaque étape.

L’an prochain à Jérusalem

Car chaque aliment déposé sur le plateau de Seder se rapporte à l’histoire du passage hors d’Égypte.

L’agneau rappelle le marquage des portes, l’œuf la mort et la destruction du temple, les herbes amères rappellent la dureté des Égyptiens envers les hébreux, les pommes, dattes et amandes commémorent le mortier liant les briques de construction du temple, l’eau salée signifie les larmes des exilés – que l’on verse aussi sur tous les malheurs de l’humanité et même sur la mort des nouveau-nés égyptiens – , et le vin enfin, se boit à la façon des hommes libres, le coude droit appuyé sur la table. Il célèbre la liberté conquise et la fin de l’esclavage. Enfin le Seder se termine sur un vœu prononcé dans le monde entier par toute la diaspora « l’an prochain à Jérusalem » !

Il n’est pas rare que des familles juives invitent des amis non juifs au repas de Seder, une fête de joie et de mémoire basée sur le partage. Souvent aussi, les communautés se regroupent pour passer Seder ensemble. Dans ce cas-là, c’est souvent le rabbin qui officie.

Des signes croisés

Le pain rompu, le vin, l’agneau, le repas maigre de « pénitence » caractérisent le Seder. Mais ne sont-ils pas lourds de sens pour les Chrétiens ? L’Eucharistie, l’agneau pascal, le carême ? Ce temps du passage est aussi un temps de correspondances secrètes et inattendues. Car bien avant que la Catalogne ne soit la Catalogne, le peuple juif connaissait en tant que tel l’exil et la logique de diaspora, partout en Méditerranée et ici, en particulier.

25 siècles de présence continue

Installées en Catalogne depuis la plus Haute Antiquité, c’est-à-dire avant les Grecs et avant les Romains, les communautés juives ont traversé toutes les occupations et reconquêtes du territoire, passant d’un joug à l’autre avec diplomatie, plus ou moins bien traitées et reconnues selon le suzerain et la culture dominante. Si aucune preuve scientifique connue ne l’atteste, la légende veut que les Hébreux soient venus ici 1000 ans avant Jésus Christ pour chercher du bois destiné à la reconstruction du Temple de Jérusalem. Plus sérieusement, la première vague massive de peuplement survient sous le règne de Titus, dans le sillage des armées romaines.

Tolérés… moyennant finances

Dans leurs colonies en effet, les Romains tolèrent le judaïsme et le statut d’hommes libres de ses pratiquants sans légiférer ni définir les limites de cette tolérance. Ils ne deviendront cependant citoyens romains que sous Caracalla moyennant le « Fidus Judaicus », un impôt qui leur permet de suivre leurs rites et leurs croyances tout en bénéficiant des protections et privilèges relatifs à la nationalité romaine. Lors de la chute de l’empire romain d’occident, la première persécution viendra des Wisigoths récemment christianisés, qui leur proposent un choix édifiant : se convertir ou se faire crever les yeux. C’est la première fuite des Juifs de Catalogne vers le refuge des montagnes intérieures. Hélas, ce ne sera pas la dernière.

Orient et occident : le pont

Pont naturel entre les musulmans et les chrétiens, les communautés juives ont joué un rôle cardinal dans le développement de la Péninsule lors des invasions maures. Les berbères, comme les Romains, définissent une place spécifique pour ces communautés qui bénéficient de la protection de leurs suzerains à condition d’accepter une citoyenneté tronquée (les juifs ne portent pas les armes) et le paiement d’un impôt. Les juifs s’illustrent très vite par une compréhension naturelle de l’Islam (beaucoup d’entre eux sont installés en Afrique du nord), des talents de traducteurs, et surtout, une propension naturelle aux travaux intellectuels qui aboutiront à l’éclosion magnifique d’El Andalus. Ce royaume musulman vit un temps – assez court, il est vrai – la rencontre magique des trois monothéismes pour la plus grande gloire de la poésie, de la musique et de la philosophie.

Le levain de la Catalogne

Les communautés juives jouent un rôle décisif dans la Catalogne médiévale à laquelle elles ont donné des philosophes, des savants, des médecins, des théologiens, des géographes parmi les plus prestigieux de leur temps. Elles parlaient et écrivaient une langue formée d’un mélange de catalan et de racines hébraïques le judéo-catalan. Pendant vingt siècles, jusqu’à leur expulsion par les Rois Catholiques en 1492, ces communautés ont irrigué le pays intellectuellement et économiquement tout en conservant sa mission première : l’étude et le respect des écritures et des commandements.

Des calls actifs et réputés

L’apogée de ces communautés se produit sous Jaume 1er de Conquérant qui leur donne accès à des professions qui leur étaient jusque-là interdites et fait entrer des juifs dans la plus haute administration. Les communautés juives connaîtront alors ce que l’on peut qualifier d’âge d'or, et durant près d'un siècle, leur art, leur science, leur philosophie rayonneront tout autour de la Méditerranée. Pour des raisons de sécurité, mais aussi pour des raisons politiques et religieuses, ils ne vivront toutefois plus parmi les chrétiens, mais dans des lieux précis délimités, nommés en Catalogne les Calls. Tortosa, Lleida, Perpignan, Girona, Besalu, Mallorca pour n’en citer que quelques-uns ont ainsi conservé des traces de ces ghettos ibériques.

Trahis par les leurs

Gérone voit naître un immense maître de la kabbale, la mystique juive, Nahmanide. Il s’oppose au perpignanais scientiste Menahem ben Salomon dit « Ha Meiri », disciple de Maïmonide. Cette efflorescence intellectuelle du monde juif a un prix : lors des grandes discussions théologiques imaginées par l’Inquisition pour contraindre ces juifs trop dangereux à la conversion, les interlocuteurs des rabbins sont toujours des juifs apostats qui ont trahi leur foi et se battent avec des arguments talmudiques. Ainsi, ce qui est présenté au peuple comme la supériorité ultime du catholicisme sur le judaïsme est en réalité le résultat de controverses internes au judaïsme. Ces juifs apostats sont la brèche par laquelle va s’engouffrer, à la première occasion, l’antisémitisme.

La logique du bouc émissaire

En 1348, se déclarent successivement trois épidémies de peste noire. Les morts se comptent par milliers. Or, les Juifs enfermés dans leurs Calls, ont leurs propres puits, et leurs règles d'hygiène sont telles qu’ils sont moins touchés par la maladie que le reste de la population. Cela éveille la suspicion, et ils sont accusés d'empoisonner les puits des Chrétiens. Le feu de l'antisémitisme s'allume alors, attisé par une haine féroce entretenue par les ecclésiastiques. Aux cris de « à feu et à sang » et de « le baptême ou la mort », les pogroms se succèdent, ils font tâche d'huile. Durant l'été 1391, les calls du royaume catalano-aragonais sont attaqués, pillés, brûlés, les habitants sont égorgés et certains ne sauvent leur vie qu'en acceptant le baptême. Même les interventions royales ne peuvent rien contre ces masses en furie stimulées par des prêtres hystériques En quelques jours, il ne reste plus rien des calls de Barcelone, Majorque, Lleida ou Perpignan. L’édit royal de 1492 ne laisse aux communautés exsangues qu’une sinistre alternative : l’exil ou la conversion. Des milliers de juifs catalans embraquent ainsi pour l’Afrique du nord, la Turquie, l’Italie ou la Grèce.

La clarté marrane

Les nouveaux convertis sont appelés Marranes, ce qui signifie porc en castillan, soit une grossière allusion aux interdits alimentaires des juifs. Mais malgré leur conversion, Ils ne sont pas admis par les Chrétiens qui les soupçonnent de pratiquer leur religion en secret. L’Inquisition fait alors appel à la délation et à la torture pour éradiquer le judaïsme de la péninsule ibérique. Pourtant, réfugiées dans les montagnes, les communautés s’organisent en secret. Privées de rabbin, elles transmettent ce qu’elles peuvent de la religion des Pères. Dans la grande nuit de l’exil, elles entretiennent une flamme qui laisse des traces rituelles et proverbiales dans la culture catalane, donnant encore çà et là, naissance à des géants comme Salvador Espriu.

Une part de l’âme catalane

La chute du franquisme, si fortement adossé à l’Opus Dei, descendante directe de l’Inquisition, a libéré la mémoire catalane. Grâce au Maire de Gérone, Joaquim Nadal, la vieille cité s’est ressaisie de son passé juif et des beautés de son call en partie préservé. Un signe fort donné au monde de la part juive, inaltérable et millénaire, de l’âme catalane.

Musée des Juifs de Gérone

À quelques dizaines de mètres de la cathédrale, au creux des ruelles sombres du Call s’ouvre le Musée des Juifs de Gérone. Un véritable bijou qui attire des juifs du monde entier et qui est devenu le siège mondial des Chemins Sépharades. En quelques panneaux, quelques manuscrits et la mise en situation d’objets se dessine l’histoire complexe et glorieuse des juifs de Catalogne, de leur difficile cohabitation avec les chrétiens, de leur apport décisif à la culture catalane et mondiale. Une belle occasion de mesurer l’importance de ces communautés méconnues et de reconnaître des traditions devenues nôtres.

Les calls

Le Call - ou ghetto, judéria, aljama, dans d'autres pays - vient de l'hébreu "Kahal" qui veut dire rassemblement. C’est une petite cité dans la ville, entourée par des murs assez hauts pour être bien enclavée, et fermée par une porte toujours close à la tombée de la nuit. Chaque call possède sa synagogue, un Talmud-Thora, un mikvé, un petit hôpital qui sert d'hospice aux vieillards seuls, et d'hostellerie aux juifs de passage, ainsi qu'une maison pour aider les pauvres. Une boucherie et un four collectif complètent le tout. Le cimetière est toujours hors de la ville, si possible sur un monticule ou une colline qu'on dénomme en Catalogne: Montjuich, ou Fossar dels Jeus.

Les marranes : une bonne partie d’entre nous en descendent.

Votre grand-mère salait-elle la viande avant de la faire cuire ? Jetait-elle dans le feu les ongles coupés et les cheveux ? Allumait-elle des bougies le soir ? Alors, ce pourrait-être le signe de restes épars de crypto-judaïsme, surtout si vous êtes de Cerdagne, du Vallespir ou du Conflent. Des expressions catalanes comme « modat com el dissabte « (habillé – endimanché – comme un samedi) ne prennent de sens que si l’on admet que le samedi, jour du shabbat et du repos hebdomadaire revêtait pour certains une importance particulière. On estime à plus de 30% les catalans qui comptent des marranes parmi leurs aïeux.

Manger casher

Ces interdits alimentaires sont appliqués avec plus ou moins de rigueur : pratiquement pas par les juifs laïques, limités à l’interdiction du porc pour les moins pratiquants, puis avec plus ou moins de rigueur selon le degré de pratique. D’abord, comme pour les musulmans, pas de porc. Ne jamais non plus mélanger produits carnés et lactés. Bannir les poissons dont les écailles ne sont pas visibles (soles, lottes) ou ont l’apparence du serpent (anguille). Ne pas toucher aux crustacés et mollusques. Ne consommer que des animaux égorgés rituellement. Voilà quelques-uns des préceptes qui régissent la cacherout.

Catalans fils de juifs

Les franquistes n’ont cessé de stigmatiser la Catalogne pendant toute la guerre d’Espagne par des allusions à sa composante juive et maçonnique, à commencer par Lluís Companys, le président de la Generalitat assassiné en 1940, traité de « fils de juif », donc indigne de l’Espagne. D’innombrables écrits parlent aussi des judéo-catalans séparatistes, considérés comme une cinquième colonne. Cette assimilation a certainement beaucoup joué dans la volonté des Catalans de retrouver leur patrimoine juif et de le revendiquer.

Salvador Espriu

Dans son livre-phare, la Pell de Brau (la peau de taureau) qui lui valut d’être pressenti pour le Prix Nobel de Littérature en 1960, donc en plein franquisme, Salvador Espriu opère une identification entre la Catalogne prisonnière de l’Espagne et Esther, prisonnière d’Assuérus qui s’en fit aimer sans révéler son origine juive et réussit finalement à sauver son peuple menacé. Quand on sait que son premier livre, le seul qu’il ait jamais écrit en castillan s’appelle Israël, on comprend à quel point les intellectuels catalans ont été habités par cette partie de leur identité.

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